Un article de Cécile Carceles, membre de l'Université du Nous, soutenue par Gabrielle Mirbeau.
Dans la perspective d’un bilan de nos 10 ans d’activités, l’Université du Nous a lancé en 2020 une étude d’impact via un questionnaire à l’ensemble des personnes ayant participé à, au moins, un séminaire ou un accompagnement. Le but étant à la fois de déterminer les profils des participant·es et de mesurer l’impact de cette expérience chez les personnes et dans leur organisation.
Cette analyse s’appuie sur les réponses de 79 personnes. Nous remercions chaleureusement ces personnes qui ont accepté de se livrer à cette étude.
Le profil des participant·es
Une majorité de femmes de plus de 36 ans
L’UdN œuvre surtout avec un public d'adultes de plus de 36 ans.
En conscience d’appartenir à une classe privilégiée
Plus de 90% des répondant·es se considèrent complètement ou plutôt privilégié·es. Sur les 10% restant, les personnes se considèrent discriminées du fait de leur origine sociale de façon majoritaire (76%), viennent ensuite la couleur de peau (56%) et l’orientation sexuelle (42%) et enfin dans un moindre mesure la religion (12%).
D’après Juliette Rousseau, militante féministe, écologiste et autrice, les privilèges sont “des avantages, bénéfices, droits ou faveurs qui me sont conférées non pas en vertu de quelque chose que j’aurais fait mais de mon identité sociale : mon genre, mon âge, ma couleur de peau, la religion que je pratique ou le fait que je n’en pratique pas, mon orientation sexuelle etc. Autrement dit, ils me sont conférés sans que j’aie eu à faire quoi que ce soit pour les obtenir, je n’ai eu qu’à être socialement.” (in Rousseau, J. Lutter ensemble : pour de nouvelles complicités politiques, ed. Cambourakis, 2018).
Les répondant·es ne comptent aucune personne ayant un niveau d’étude en dessous du CAP, BEP ou équivalent, alors qu’elles représentent presque un tiers de la population française. A contrario, il y a une sur-représentation de personnes ayant un niveau d’étude “Bac + 3 et plus” avec 80% des répondant·es alors qu’elles constituent moins de 20% de la population nationale.
On note chez les répondant·es, une sous-représentation chez les ouvriers et les professions intermédiaires, et inversement une sur-représentation chez les professions indépendantes et cadres ce qui souligne l'appartenance des répondant·es aux classes sociales dites moyennes et supérieures.
A noter aussi, la sur-représentation des personnes sans activité assortie de commentaires formulés dans le formulaire qui peut aussi indiquer la présence de personnes ayant fait des choix de vie alternatifs à la norme sociale.
L’ensemble de ces données donnent à voir des personnes de positions sociales privilégiées et instruites, autrement dit possédant un fort capital social et culturel ; et conscientes de l’être. Si cela questionne sur le caractère peu inclusif des séminaires de l’UdN, on peut aussi apprécier l’absence de déni de privilège parmi les répondant·es.
La sensibilité politique de gauche de notre public
La moitié de notre public se sent proche du courant politique écologiste (50%). 20% se disent anarchistes, 9% socialistes et 1% communiste. Le reste du corpus ne se reconnaît pas dans ce découpage politique (15%) ou n’a pas d’opinion à ce sujet (5%). Si ces deux derniers chiffrent se rapprochent de la tendance nationale : 16% des français ne se prononcent pas quant à leur positionnement sur un axe gauche-droite, il ressort toutefois que notre public se distingue de la tendance nationale à savoir que 13% des français·es se positionnent à Gauche, 32% au Centre et 39% à Droite.
Source : étude Ifop sur le positionnement des français sur un axe gauche-droite - juillet 2020
Des parcours inscrits dans une démarche personnelle et collective
Une affinité préalable avec le fond politique de l’UdN
Le premier postulat exploré est le lien entre la transformation sociétale et la transformation personnelle (TSTP) qui est à la base des activités de l’Université du Nous. Cette vision est connue par 86% des personnes qui s’inscrivent à un séminaire ou sollicitent un accompagnement. Parmi les personnes qui n’en avaient pas eu connaissance au préalable, 80% estiment que cette articulation est pertinente à l’issue des formations.
En ce qui concerne les autres postulats et parti pris politiques, 87% des sondé·es se sentent en affinité avec au moins un point de nos écrits politiques et philosophiques.
En guise de teasing, nous avons prévu une analyse plus poussée de ces données. En tous cas les résultats ont stimulé notre réflexion sur l’entre-soi et ses raisons, sur pourquoi en sortir et comment. Cette réflexion est loin d’être aboutie. Ce que nous pouvons en dire dans un premier temps, c’est que ces résultats sont conformes aux préjugés que nous avions sur le sujet.
Globalement, notre public est majoritairement féminin (il s’est plus précisément féminisé au fil des années, ce que nous avons pu vérifier à la lecture de nos statistiques internes), et constitué de personnes entre 30 et 40 ans, faisant partie majoritairement de la classe moyenne supérieure, avec un capital culturel important.
A présent, nous allons nous intéresser à l’étude des impacts à proprement parler.
Attentes, apprentissages et impact des ateliers et accompagnements
Des attentes pour s’outiller et se développer personnellement autant que professionnellement
Des apports au-delà des attentes
Et après ?
Mais donc, et après ? Quelles traces reste-il des séminaires ou accompagnements dans les collectifs et chez les personnes ?
En guise de préambule, il est important que nous ayons en tête que les outils expérimentés diffèrent entre les séminaires ouverts à toustes où nous axons le travail fortement sur la posture, et les accompagnements où d’autres outils plus structurants ainsi que des actions concrètes sont abordées de façon plus précise. Les accompagnements se vivent sur des mois voire des années, de ce fait l’expérience est différente. Nous distinguerons donc les impacts de ces deux situations.
La population est séparée pour cette partie en deux groupes : les personnes qui ont suivi un ou plusieurs séminaires individuels, qui représentent 73% des répondant·es, et celles qui ont participé à un accompagnement de structure.
Globalement, les réponses émanent de personnes qui ont participé à un séminaire ou à un accompagnement après 2014.
Impacts suite à un ou des séminaires
Des freins divers et variés
Ce qui frappe en tout premier lieu, c’est le nombre de freins évoqués, en plus des items proposés. En tout, ce sont 30 types de freins dont font état les participant·es. La plupart des autres raisons évoquées font état d’un manque d’argent et de temps pour mettre en place une gouvernance partagée, ce qui pourrait rejoindre l’item “pas prioritaire".
Des points d’appui internes et externes
Pour dépasser ces freins, pour avancer dans un sens rejoignant les raisons qui ont motivées la participation à un séminaire, les sondé·es disent avoir des points d’appui. Contrairement aux freins, les points d’appui apparaissent de façon beaucoup plus regroupée et “consensuelle”.
Les outils structurants se disséminent dans les collectifs
*Pratiques du cercle : se disposer en cercle, commencer la réunion par une météo, terminer par une restitution, l’équivalence des membres du cercle etc.
Il serait aisé de se dire que les outils sont très facilement réutilisés par les participant·es , mais ce premier constat doit tout de même être nuancé. En effet, il paraît très probable que les personnes ayant le plus apprécié et pu réutiliser leurs apprentissages soient sur-représentées parmi les répondant·es. Ce biais est particulièrement à prendre en compte pour ce résultat.
Nous pouvons tout de même conclure de cet état des lieux que chez les répondant·es, les points d’appui sont suffisamment solides pour potentiellement contrebalancer les nombreux freins évoqués. Il est aussi notable que la plupart des participant·es qui ont pu mettre des outils en place ont commencé par les plus structurants comme les pratiques du cercle.
Impacts suite à un accompagnement de structure
Un partie des organisations déjà sur le chemin de la gouvernance partagée
Mis à part les structures naissantes, on observe que la majorité des organisations accompagnées étaient déjà dans une démarche de gouvernance plus démocratique ou tout au moins alternative à la forme verticale dominante.
Fort impact de l’accompagnement sur les organisations
50% des répondant·es considèrent que l’accompagnement de l’Université du Nous a eu un gros impact sur l'organisation collective.
Globalement, ce qui ressort est le changement des formats des réunions, qui concerne 90% des structures, suivi de près par des changements au niveau relationnel entre les membres du collectif ou de l’entreprise.
Dans 80% des cas, il y a eu un changement dans la distribution du pouvoir qui passe par le fonctionnement par cercle et l’autonomie définie pour les différents cercles, soit les périmètres d’autorité.
Après cette vision globale, nous allons voir de façon plus précise et aussi plus technique, les outils concrets mis en place aux débuts, et ceux installés dans la durée.
Une appropriation des outils structurants
De manière générale, les organisations s’emparent des outils structurants et leur utilisation est stable dans le temps. Il n’y a pas à ce niveau d’évolution notable, ni d’outils disparaissant ou émergeant. Les pratiques qui fondent la gouvernance partagée sont les plus usitées : la pratique du consentement et les pratiques du cercle. Les outils d’intelligence collective sont employés aussi et les réunions facilitées dans deux tiers des cas.
La constitution et l’utilisation d’un cadre de sécurité est repris par environ la moitié des organisations. La proportion est équivalente pour la mise en place des réunions par tensions et de gouvernance.
Deux items sont cités, qui restent marginaux et éphémères : l’existence d'ateliers sensibles, de moments de connexion au corps ; et l’élaboration d’une charte. Dans les deux cas, une seule organisation l’évoque et sa durée a été circonscrite dans le temps.
Des impacts psycho-sociaux non négligeables
Pour compléter cette excursion dans les traces structurelles laissées par l’accompagnement, les personnes ont fait état des impacts plus négatifs qu’elles ont observé et mis en lien avec les changements induits par la mise en place de jalons vers la gouvernance partagée.
D’autres répercussions sont évoquées, chacune l’étant par une personne :
des déséquilibres relationnels le temps de l’appropriation des outils,
le départ d'employé·es déboussolé·es ou mécontent·es,
la charge émotionnelle due à la nécessité d’effectuer une sorte de "traduction", liée à des différences de rythmes de compréhension et d’appropriation de la gouvernance partagée par le groupe.
Conclusion
Il est temps de conclure la présentation de cette étude. Nous avons tenté d’être la plus fidèle possible à ce que les participant·es souhaitaient nous transmettre, d’élaborer un dépouillement le plus utile possible à l’analyse que nous pourrons en faire, individuellement et collectivement. Nous avons été portées durant tout ce long et laborieux travail par la gratitude que nous avons envers toutes les personnes qui ont pris le temps de la rendre possible, et pour la sincérité de leurs propres réponses et analyses.
Ces résultats n’ont pas apporté de grosses surprises (et nous sommes curieuses de savoir si c’est le cas aussi pour vous ?) et ce n’était absolument pas l’objet de trouver des scoops. En soi, cette adéquation approximative entre notre perception et la réalité ébauchée par cette partie qualitative est un élément intéressant.
Cette étude inscrit notre démarche d’évaluation et de réflexivité dans le terreau du concret, des faits, de ce que nous pouvons mesurer. Ils viennent aussi compléter le travail qualitatif mené par Juliette (Juliette enquête) précédemment.
Au fur et à mesure de sa rédaction, des pistes d’analyse, des questionnements ont émergé. Une seconde partie est donc déjà à l'œuvre, pour une analyse que nous souhaitons résolument collective, pour éclairer les pratiques de notre organisation, les réussites, les failles et les manquements. Elle se veut participer à des évolutions permanentes et pertinentes de nos actions et choix pour contribuer au mieux à ce en quoi nous croyons.
Nous vous donnons rendez-vous pour partager cette suite !
En attendant, si cette lecture a éveillé chez vous des hypothèses, des interrogations, des questionnements, ou même si vous n’avez pas participé et que vous avez un vécu très différent, n’hésitez pas à nous en faire part. Parce que nous sommes intimement convaincue qu’on est plus intelligent·es à plusieurs, nous souhaitons que l’analyse à en faire soit enrichie des apports les plus divers et variés.
Écriture : Cécile Carceles, membre de l'Université du Nous, soutenue par Gabrielle Mirbeau.