L’Université du Nous et son chemin vers des ressources pédagogiques libres

Un article de Marion Cremona et Romain Vignes, membres de l'Université du Nous

Tout au long de ses 10 années d’exploration interne, l’Université du Nous fut à maintes reprises challengée par les nombreuses réappropriations des méthodes et outils pédagogiques qu’elle a pu elle-même s’approprier, synthétiser et illustrer de façon singulière. Cette expérience parle de la volonté des membres de transmettre au monde leurs propres apprentissages, et ce, de manière la plus cohérente possible avec leur vision philosophique du faire-ensemble. Entre la pratique dominante propriétaire et les alternatives existantes, l’Université du Nous a tenté et tente encore de trouver un modèle philosophique, social et économique juste pour diffuser ses ressources pédagogiques.

Notre volonté n’a jamais été de former à accompagner, pourtant notre façon de faire a fait « des petits » ici et là, échappant bien souvent à « notre contrôle », à cette volonté égotique profondément humaine de vouloir garder la main sur ce à quoi nous donnons naissance.

Cela est venu réveiller nos peurs et nous avons pu être alors traversé·es par de la colère, des incertitudes, des remises en question troublantes sur notre rapport à l’argent, à la propriété, à la reconnaissance, à la coopération… Cela nous a invité à nous interroger à nouveau.


Pour quoi travaillons-nous ? Pourquoi faisons-nous tout cela ?
Qu’est-ce que nous faisons quand nous faisons ce que nous faisons ?

Comment faire pour qu’il n’y ait ni perdant·es ni gagnant·es ?

Nous qui avons longtemps essentiellement misé sur la Participation Consciente, cela remet-il en question « le don comme source d’abondance » ?


De ce que nous avons vécu, ce sujet de fond nous a permis de sentir jusqu’où nous étions dans un partage sincère, au service d’un essaimage nécessaire et créateur d’une culture commune, celle du faire-ensemble. En regardant et dépassant nos croyances limitantes, nous pouvions nous relier à la raison d’être politique de l’Université du Nous et agir pour participer à la transformation sociétale que nous appelons de nos vœux.

Une licence Creative Common plutôt que le copyright comme règle du jeu

Nous avons produit de multiples fiches tutorielles, des panneaux de facilitation graphique et affiches, les planches Indicateurs de Richesse, une centaine d’audio et de vidéos produites pour les deux MOOC Gouvernance Partagée et quelques COOC... Il s’agit de ressources éducatives libres c’est-à-dire non brevetées.

En effet, a contrario du modèle de la propriété intellectuelle "copyrightée", il nous est apparu que les idées ne peuvent être brevetées. A l’instar des précurseurs aux pratiques collaboratives comme Outils-Réseaux et Colibris qui nous ont soutenus, nous avons assez rapidement pris conscience que les ressources pédagogiques sont faites pour être diffusées, mais que notre travail doit pour autant être reconnu, protégé et rémunéré. 


C’est ainsi que nous avons pris la décision de remettre au centre le maximum de nos productions via la CC-BY-SA, une des licences Creative Commons. Cette décision s’est inscrite dans une “politique” de notre gouvernance, une nouvelle règle du jeu. Ainsi, l’Université du Nous permet à quiconque d’utiliser les ressources produites y compris à des fins commerciales et de les modifier, et ce, à condition de citer la source et d’appliquer cette même licence CC-BY-SA à tous les dérivés de cette ressource. Cette dernière condition est essentielle pour éviter les risques de récupération et d’enclosure de la ressource, c’est-à-dire qu’une personne ou un organisme puisse se l’approprier en y posant un copyright, et donc priver les autres de son usage. 


Ainsi, l’Université du Nous permet à quiconque d’utiliser les ressources produites y compris à des fins commerciales et de les modifier, et ce, à condition de citer la source et d’appliquer cette même licence CC-BY-SA à tous les dérivés de cette ressource.


Vers un modèle économique du Libre 

Au-delà de l’intention de nourrir notre raison d’être, quel est le modèle économique qui permettrait de tenir cette proposition sur la durée ? Comment rémunérer le travail ? car Libre ne veut pas dire gratuit. Dans ce cadre, les revenus ne proviennent pas de la vente directe du code source ou des documents pédagogiques comme pour l'Université du Nous, mais d’autres ressources financières comme le don. 


De plus, Libre ne veut pas dire non-marchand, aussi les revenus sont issus de la vente d’un ensemble de services tiers, de formation, d’accompagnement ou de personnalisation utilisant ces ressources libres. Autrement dit, ce qui est vendu c’est le service, pas l’accès à la ressource, et la valeur ajoutée du service est d’autant plus forte que ces ressources sur lesquelles une communauté d’usagers s'appuie, sont réutilisables.


Par ailleurs, il est important, comme aime à le rappeler un spécialiste de l’animation coopérative et ancien animateur d’Outils Réseaux Laurent Marseault , de considérer ce modèle économique alternatif dans toutes ses dimensions, au-delà de l’aspect monétaire. 


En effet, dans cette approche du Libre, la conception et le développement d’une ressource se fait de manière ouverte, avec un grand nombre potentiel de contributeur·ices et de recyclage de ressources existantes, ce qui permet un gain en temps et en qualité. 

De plus, la diffusion de ces ressources avec l’obligation de citer les contributeur·ices , permet un gain en notoriété et en crédibilité pour ces producteur·ices au sein d’une communauté d’usagers. Régulièrement, l’Université du Nous voit cette obligation respectée, comme ici par le Mouvement Colibris, et bénéficie alors d’une plus grande fréquentation de son site et plus généralement du bouche-à-oreilles. 


Ce modèle est au cœur de l’économie du logiciel libre : le code source du logiciel est ouvert et permet ainsi à une grande communauté de développeur·ses de mutualiser leurs efforts, développeur·ses qui sont elleux rémunéré·es par des entreprises commercialisant du service de personnalisation, de formation ou d’accompagnement à l’utilisation de ces logiciels. Pour explorer plus en profondeur cette Economie de la contribution, nous vous conseillons l’excellente base de connaissance de Lionel Lourdin.

Il y a un tout petit peu urgence (certains pensent qu'il y a le feu à la maison), en tous cas, il est grand temps d'unir nos énergies, initiatives, expérimentations, afin de co-élaborer un avenir viable et désirable.

Laurent Marseault


Une nouvelle organisation pour porter le projet du Commun 

Pour pouvoir les considérer comme des Communs de la connaissance, il faudrait que la communauté qui les utilise soit associée à la gouvernance de ce commun. Après avoir envisagé de transformer l’UdN en une grande communauté, nous avons finalement opté pour la création d’une autre organisation ad hoc. C’est ainsi qu’en 2018 l’organisation “les Jardinier·e·s du Nous” a été créé autour d’une raison d’être d’être centrée sur cette notion de communs du faire ensemble, et d’un mode d’organisation qui vise à permettre à une grande communauté de “commoners”, de s’organiser pour produire et gouverner des communs. 


Au final, si l’impulsion de départ à la décision de produire nos ressources en CC-BY-SA était un élan du coeur non rationnel, une intuition qu’en donnant nous allions recevoir, une vision politique en lien avec notre raison d’être, nous pouvons aujourd’hui également argumenter ce choix par ce retour d’expérience : notre notoriété, notre crédibilité, notre carnet de commandes et la valeur ajoutée de nos services, ont largement été nourries par cette approche par les communs. En espérant que ce retour d’expérience permette à de nouvelles personnes et organisations de revisiter leur rapport à la propriété intellectuelle, et d’être de plus en plus nombreux à contribuer à la création de valeurs en commun.


Notes :

- Pour en savoir plus sur la licence utilisée par l’UdN.
- Visuel ci-dessous de Simon Villeneuve (traduction en français) - CC BY-SA 4.0




Écriture : Marion Cremona, Romain Vignes I Membres de l'Université du Nous
Relecture : Gabrielle Mirbeau
Les expériences dites « sensibles » vectrices de transformation