L'esthétique et le sensoriel au service du faire-ensemble

Un article de François Piranda, cofondateur de l'Université du Nous

Pour faire collectif, pour "Faire ensemble", les dimensions esthétique et sensorielle ont leur importance. A l’Université du Nous, ces dernières sont présentes depuis l’origine. Le beau et les sensations qui en émergent donnent une porte d’accès et un cadre essentiel à l’expérience du groupe. C’est particulièrement au sein des séminaires créés par l’Université du Nous et désormais mis en place par Hum! que ces dimensions rendent compte de tout leur intérêt. Parmi ces séminaires, l’AdN++ en revêt la forme la plus significative. Témoignage. 
Juillet 2019, J-1, préparation du séminaire AdN++

Mise en place des derniers détails de la scénographie. L’équipe “senso” attache au plafond de la salle une série de parapluies dont pendent des voilages. Chaque parapluie est à l’image d’une cabine, d’un cocon qui offre, lorsque l’on s’immisce en lui, une expérience sensorielle unique. Un parcours sonore et olfactif, de parapluie en parapluie pour réveiller les sens endormis, retrouver son âme d’enfant, et entrer  dans la thématique annoncée du séjour… « le voyage de l’héro·ïne »…


L’accueil des sens

Après le parcours des parapluies, l’accueil des participant·es, se poursuit par la traversée d’un tunnel de tissu coloré qui les conduit dans la salle principale. Une odeur de sauge plane dans l'air ; bougies, fleurs et rideaux noirs sont là pour parfaire le décor. Sur scène, les animateurices, instruments en main, jouent une improvisation musicale.


14h05, salle comble. Tous et toutes sont arrivé·es. Des projecteurs éclairent la scène. Le silence s’installe. Un clown débarque incongru, malhabile, il semble perdu, essaie de commander une boule lumineuse qui tarde à fonctionner. Brin de poésie. Arrive ensuite Aimé Dumoi, le personnage clownesque qui vient tordre avec son humour noir les tentatives de dogmatismes sur le sujet de la gouvernance partagée et du Faire ensemble qui pourraient poindre dans les esprits. Aimé Du moi ne fait pas de cadeaux. Avec tendresse, il nous égratigne, nous les membres de l’équipe, il partage les inquiétudes que pourraient rencontrer les participant·es et nous connecte à nos zones de doutes et de fragilité.


La météo avec Monsieur Blabla

Quand le cercle de tous·tes les participant·es est formé, un tour d’inclusion est proposé, chacun·e est invité·e à partager sa météo du moment. Monsieur BlaBla, le bâton de parole, circule de mains en mains. Avec son grelot et ses perles, il ressemble à un drôle de personnage, avec des yeux qui divergent légèrement, une grande natte ornée d’une plume et une trompe qui finit en cul de poule. Objet matériel et esthétique de transfert, il aide à la libération des mots, à dépasser pour certain·es la crainte de s’exprimer en public. « J’ai dit » conclut le « capitaine » du séminaire à la fin de ce grand horizon de parole partagée.


Ainsi a débuté le dernier AdN ++ proposé par l’Université du Nous, séminaire original dans le fond comme dans la forme, et support à l’expression de toutes nos dimensions sensibles.


Un cadre esthétique au service de l’expérience du groupe

Unifier les individus et toutes leurs parts au travers d’expériences sensorielles, corporelles et esthétiques tel est l’un des enjeux forts à notre esprit, et essentiel du « faire-ensemble ».  Permettre à chacun·e de se connecter profondément à soi, à sa part vitale, son enfant joueur·se, ses émotions et son intuition comme un facteur essentiel de transformation individuelle au service de la coopération. Il s’agit là de l’aspect de la « profondeur », le troisième élément fondamental des organisations du futur après la dimension verticalité « saine » et horizontalité « juste ».  

Pour favoriser cela, je travaille à prendre soin du contexte, à le rendre beau, à créer une ambiance esthétique sensorielle qui ouvre le cœur. 


Dans nos séminaires nous portons donc une attention à nourrir chaque sens. De la musique pour les oreilles, des encens pour le nez, des couleurs et des graphismes pour les yeux, des objets pédagogiques manufacturés pour les mains.


 Je suis marqué par le soin à l’esthétique, à la profondeur. Quand on arrive dans le cercle à l’UdN, c’est beau, il y a une bougie, un soin, moi ça me touche, parce que ça me parle et que j’ai besoin de ça. C’est peut-être pas le cas de tout le monde, mais moi en tout cas je suis vachement sensible à ça. C’est une préciosité de ce qu’on va vivre, qui met de la hauteur, de la verticalité. Ça j’adore.


Témoignage d'un participant de séminaire

Chaque début de séminaire, tout comme une troupe installe une scène avant le spectacle,  l’installation matérielle se vit comme un rituel rodé où chacun·e, avec son rôle prédéfini, déploie la proposition d’un cadre esthétique au service de l’expérience du groupe à venir. Chaque détail est peaufiné. La joie partagée vécue à ces instants ressemble à celle de préparer un anniversaire surprise jusque dans les moindres détails !



Le beau au service de l’apprentissage

Depuis la naissance de l’Université du Nous, je transcris et valorise les concepts par l’image. Le soin apporté aux mots choisis, aux formes et couleurs, aux illustrations porte l’intention de mieux faire comprendre et assimiler ce que les mots ne parviennent pas toujours à dire. Un partage d’anecdote : depuis que je facilite graphiquement et le plus esthétiquement possible les consignes et instructions transmises aux participant·es, la phase de clarification s’est considérablement réduite. Une preuve par l’exemple, de la maxime qui dit qu’une image vaut mille mots. 


Ce que je trouve génial dans l’accompagnement de l’UdN, [...] c’est qu’il y a des supports supers bien faits, ultra clairs, c’est pour moi grâce à ça que nous on y arrive. Parce qu’on a les supports, on les sort chaque fois qu’on fait une Gestion par Consentement. Il y a des langages, de la recherche, des mots appropriés.

Témoignage d'un participant


Le beau, un contenant sécurisant ?

J’ai l'impression qu’offrir un beau cadre pour accueillir et englober l’expérience de groupe participe aussi de poser un contenant sécurisant permettant à chacun·e de développer son potentiel.

En effet, dès les premiers instants où l’on arrive dans un groupe rempli d’inconnu·es, avec souvent ses inquiétudes et attentes (in)conscientes dans le sac, le fait d’entrer dans un espace accueillant esthétiquement vient, a priori, rassurer. Probablement que si du soin est apporté au contenant matériel, l’on peut se présager que du soin et de l’attention seront portés aux autres endroits. 


Ce cadre d’harmonie travaillé par le beau n’a pas pour objet de (nous) faire croire que tout devrait bien se passer, ni de gommer les aspérités relationnelles. Il n’est qu’un support facilitant la rencontre, les interactions et la connexion à soi. 


De la beauté dans l’imperfection

Dans certains séminaires, j’ai parfois touché la limite d’une forme de perfectionnisme. J’ai dû renoncer à des envies d’en faire « plus » sur l’instant, au service de ce qui se passe. Comme une invitation à me connecter à une autre forme de beauté, logée à un autre endroit, celle issue de l’imperfection, de la spontanéité et de l’improvisation.


La considération esthétique nous amène aussi à croiser l’un des fondamentaux philosophiques partagés à l’Université du Nous, à savoir « accorder autant d’attention au chemin qu’au résultat ». Dans ce séminaire, nous proposons la création collective d’une performance type cabaret. Dans sa mise en place, nous observons que le résultat est souvent d’une profonde beauté du fait de toute l’attention mise au processus créatif, au chemin emprunté, mais aussi du fait de la qualité des interactions, du coeur mis à l’ouvrage et des embûches surmontées, et ce bien plus qu’au travers du seul objectif de réussite.


Le beau, une porte d'entrée en connection

En tant qu’animateurices, ces propositions esthétiques sont aussi, chez chacun·e de nous, le fruit de pratiques artistiques et sensorielles diverses. Notre métier nous invite à les expérimenter intimement, à les déployer. 


Sur un plan plus philosophique, bien souvent je constate que ce qui est en moi résonne avec ce qui est hors de moi… et vice versa. Dans mon expérience, je perçois que me connecter au beau et bon en moi, autour de moi est un chemin d’accès à plus grand que moi. Certain·es parleront du Grand Mystère, du Grand Esprit, de Dieu… Peu importe, à cet endroit, je ressens profondément mon appartenance à un système vivant qui dépasse largement les contours de ma personne. Cette ouverture me reliant à la Joie me met en lien à moi, à l’autre, au Tout et ainsi me permet de me sentir profondément vivant. 

Le beau est alors ressenti comme une porte d'accès à la plus grande des promesses offertes à notre humanité : l’Amour qui, peut-être bien, reste la seule chose véritablement essentielle en ces temps si tourmentés.



Écriture : François Piranda I Cofondateur de l'Université du Nous, rôle Outils de com et Animateur sensible
Relecture : Gabrielle Mirbeau, Juliette Picardeau, Marion Cremona
Les questions de genre et de soin dans les collectifs
Ressources, infos