La Gouvernance Partagée au service d’une démarche déontologique pour l’information médicale

Un article de Marion Cremona, membre de L'Université du Nous.

Depuis plusieurs mois, force est de constater l’impact des prises de parole de Louis Fouché, porte-parole du collectif Reinfo-Covid (RIC). Dans ce collectif, il entend aborder la situation sanitaire sous un prisme critique tout à la fois citoyen et scientifique, mais ce ne sera pas ici notre propos. En effet, lors de ses nombreuses allocutions, il évoque d’autres sujets d’actualité attirants notre attention tels que la résistance citoyenne, la communication non-violente, le changement de paradigme au profit d’une société écologique et d’une humanité éclairée, mais aussi le changement de posture individuelle et la gouvernance du mouvement Reinfo-Covid. 


L’Université du Nous est citée parfois comme source d’inspiration de cette gouvernance. Cela a animé notre curiosité et notre envie de le questionner, lors d’un entretien ayant eu lieu le 24 novembre 2021, afin de comprendre comment cette organisation fonctionne dans ses 3 dimensions : horizontalité/verticalité/profondeur.

Son lien avec l’Université du Nous

Pour le présenter en quelques mots, Louis Fouché a été pendant 15 ans médecin anesthésiste-réanimateur à l’Hôpital de la Conception de Marseille. Marié et père de 2 enfants, son sens des responsabilités et ses questionnements sur “quel monde transmettre à nos enfants ?” ont été exacerbés. De là, émergent sa prise de conscience écologique et son engagement militant. Sur ce chemin de transformation, il plonge dans les œuvres littéraires de Pierre Rabhi et découvre le Mouvement Colibris, dans lequel il s’investit en intégrant le groupe local Colibris de Marseille. Avec d’autres, il met son énergie à organiser la gouvernance de ce collectif afin d’agir et soutenir les initiatives de son territoire, en s'appuyant notamment sur ce qu’il apprend via le MOOC Gouvernance Partagée produit par l'Université du Nous en partenariat  avec Colibris (2017). A cette époque, l’Université du Nous accompagne les “cercles coeur” des groupes locaux Colibris en proposant des séminaires expérientiels de 2 jours, offrant l’opportunité de découvrir quelques ingrédients d’une gouvernance partagée et d’explorer sa propre posture de coopération. C’est à cette occasion en juin 2018 que Louis Fouché et l’Université du Nous se rencontrent.

Lors de ce séminaire, il témoigne déjà de sa sensibilité à une autre façon de faire-ensemble et de son envie de comprendre autant la technique que la philosophie de la gouvernance partagée. 

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Louis Fouché, impulseur de Reinfo-Covid et

de la gouvernance partagée du collectif 

La gouvernance au sein du RIC

Deux ans plus tard, le collectif Reinfo-Covid naît sous son impulsion. A l’émergence, c’est autour de Louis Fouché que les personnes s’engagent. Il devient rapidement la personne à suivre, son enthousiasme est communicatif. Cependant, celui-ci ne souhaite pas faire figure de leader du mouvement, ni porter à lui seul toute la responsabilité des actions à mener. De par son expérience et ses connaissances acquises en matière de gouvernance alternative, il propose très vite de fonctionner différemment. Se crée alors une organisation structurée en rôles et pôles (= cercles) et dotée d’une “charte de communication interne”, d’un “cadre de réunion”, ainsi que de processus de gestion des conflits (NB : retrouver les documents en bas de page). Elle est pilotée par un cercle général constitué de doubles liens, ici nommé le cercle “Stratégie” et ayant notamment pour redevabilité de définir et ajuster la raison d’être du collectif. Chaque cercle/pôle utilise un processus de prise de décisions choisis selon ses enjeux (consensus, consentement, majorité ou autres). Soutenue par des praticiens en communication non-violente, une forme de “pratique du cercle” se met en place. Un nouveau mouvement de coopération se déploie au sein du RIC, adaptant chaque outil selon ses besoins et ses possibilités. 


Posture et raison d'être

Posture de non violence, entendue comme la capacité à générer un rapport de force et à en faire jaillir des possibles.

Comme capacité à structurer un "non" et des limites bien claires.

Pas d'ennemi, une danse, un aikido avec le pouvoir qui est notre petit maitre pour devenir plus structuré et plus solide, pour affiner notre raison d'être.

Raisons d'être :

- Mettre en lien tous ceux qui veulent agir pour une politique sanitaire juste et proportionnée.

- Aider nos concitoyens à sortir de la peur et de la colère pour aller vers la prudence et le courage.

- Aider à rouvrir le débat démocratique et scientifique.

- Proposer une autre politique sanitaire.


Dans cette gouvernance, les rôles de Louis Fouché vont évoluer chemin faisant. Il siège désormais au pôle des Diplomates (porte-parole du collectif) élu au rôle de 2nd Lien, et à ce titre comme membre du cercle Stratégie.

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L’intégration de la communauté scientifique

RIC intègre tant des scientifiques, médecins, universitaires que des citoyens et citoyennes dans un souci de recherche, d’actions et de vulgarisation scientifique à propos de la COVID-19. En terme de gouvernance, le pôle “Comprendre” réunit des expert·es aux profils et aux connaissances médicales très variées (épidémiologistes, médecins, universitaires, statisticiens…) dont l’objet est de donner “un contenu factuel et synthétique issu d'une expertise plurielle”*. Ici, seul·es celles et ceux travaillant dans le monde médical et scientifique se retrouvent afin de défricher articles, études, communiqués… pour offrir au plus grand nombre “un éclairage différent et nécessaire” (cf. note ci-dessous), à raison d’environ deux articles par semaine. Leurs interactions fonctionnelles sont avec le pôle "Lumière" en charge de la mise en forme des informations et de leur diffusion.


La profondeur au service de l’information scientifique

De manière générale, la communauté scientifique et médicale a dû s’organiser pour s’informer des travaux de recherche et s’assurer du sérieux des méthodes et des résultats sur la COVID-19. D’ordinaire, les études scientifiques sont publiées dans des revues scientifiques dont la déontologie et l’éthique garantiraient le sérieux des démarches et conclusions. Or, ce fonctionnement est dénoncé par le RIC, mais aussi par nombre de personnes du monde scientifique (cf. note ci-dessous). Au regard des critiques portées et parfois de la profondeur des conflits d'intérêts qui entachent la création du savoir scientifique médical aujourd’hui, un groupe d’experts s’est alors rassemblé pour essayer d’y voir clair. D’après Louis Fouché, “de nombreux médecins et soignants ne lisent plus les articles mais seulement les résumés ou les synthèses qui sont faites par les sociétés savantes. Les professionnels sont prolétarisés, autrement dit ils ont perdu leur savoir et leur savoir théoriser”.


Le fonctionnement en gouvernance partagée au sein du RIC et du pôle “Comprendre” a cet intérêt d'avoir permis une pérennité, et que chacun·e mette son talent là où iel le ressent le plus utile au Nous.

De nombreux projets existent qui tiennent à bout de bras sur une ou deux personnes. C’est une difficulté notable que rencontre d’ailleurs nombre de collectifs. Mais RIC, au-delà de son message scientifique, a touché la population par le calme de sa posture collective et de la posture de celles et ceux qui y participent, et ce malgré les critiques virulentes et les remises en question du bien fondé de l’organisation. 


La gouvernance partagée a permis au collectif et aux scientifiques d'arrêter de voler à 300 km au-dessus de la stratosphère pour revenir à l’ici et maintenant, les deux pieds dans la complexité humaine.

Louis Fouché
Un apprentissage permanent

Après un an et demi d’ajustements, le collectif RIC est un exemple intéressant de recherches en autonomie et d’adaptation dans le vivant de son fonctionnement. Même si la démarche n’a pas toujours été comprise par toustes, la gouvernance s’est déployée pas à pas selon les besoins et avec la confiance et la bonne volonté de chacun·e.

Quelques écueils sur le chemin :

  • Il a été difficile de tenir “le cadre de réunion” de façon homogène dans tous les cercles/pôles. La pratique du cercle en terme de processus n’est pas un acquis. 

  • La pratique du consentement n’est que peu usitée, au profit des autres modes de prise de décision (sans préférence et dépendant des décisions à prendre). En revanche, l’élection sans candidat est le seul mode électoral utilisé. 

  • L’absence d’un processus d’entrée a généré des intégrations trop rapides et mal considérées aux vues des enjeux.

Le collectif a appris en faisant, avec peu d’expériences passées et sans accompagnement extérieur dans l’établissement de sa gouvernance. Il en est allé de leur enthousiasme et ténacité à changer les choses, à commencer par elleux-mêmes. 


Pour clore notre entretien, Louis Fouché partage ce qui l’anime pour son avenir et sa vision pour les suites du RIC. Désormais sans emploi, il participe à plusieurs projets et notamment au film Tous résistants dans l’âme réalisé par Stéphane Chatry, ainsi qu’à l’ouvrage éponyme. Pour le RIC, selon lui, cela ferait sens que le collectif se pérennise en revisitant sa raison d’être… et son nom, afin de porter plus loin et plus haut ce besoin de “questionner-comprendre-agir” au sein de notre société et de continuer à “souffler sur les braises du vivant”.

 

Note 1 : Contenus issus du site internet de RIC.
Note 2 : Informations transmises par Louis Fouché : "Dr Arnold Renman , rédacteur en chef du New England Journal of Medicine disait en 2002 : "la profession médicale est achetée par l'industrie pharmaceutique, non seulement en terme de pratique de la médecine mais surtout en terme d'enseignement et de recherche. Les institutions académiques se permettent d'être les agents rémunérés de l'industrie. Je pense que c'est honteux." Marcia Angel, qui lui succède comme  rédactrice en chef du New England Journal of Medicine, elle aussi, a produit en 2009 un article sur la corruption endémique de la publication scientifique par les industries du médicament et de la data. Elle y écrivait: "Il n'est tout simplement plus possible de croire une grande partie des recherches scientifiques qui sont publiées; ni de se fier au jugement de médecin de confiance ou à des directives médicales faisant autorité". L'éditeur en chef du Lancet, Richard Horton, avait écrit il y a quelques années que la majorité de la publication scientifique médicale n'était désormais plus destinée à mieux comprendre les maladies et leurs traitements mais à justifier la vente des produits de l'industrie pharmaceutique. Il a ses mots dans un éditorial historique de 2015 : "La science a pris un virage vers l'obscurité. l'endémicité des mauvais comportements en matière de recherche est alarmante." Kamran Abassi, le rédacteur en chef du British Medical Journal, (aussi prestigieux et renommé que le New England Journal Medicine) a écrit en 2020 un éditorial dont le titre restera éloquent: "Covid 19, Politicisation, Corruption, and Suppression of science". Marc Rodwin de l'Université de Harvard décrit que les pratiques qui corrompent l'intégrité de la recherche et de la production du savoir sont majoritairement légales, même s'il existe un volet criminologique. La Commission Européenne en 2014 a rendu un rapport anticorruption qui déclare que le secteur de la Santé est particulièrement vulnérable et l'objet d'une corruption généralisée par les industries du médicament. Ce constat de corruption systémique dans la création du savoir, tristement partagé par la communauté scientifique et médicale reste un impensé dans la crise Covid pour la majorité des observateurs et des médecins qui se révèle incapable de regarder en face la profondeur des conflits d'intérêt qui entachent la création du savoir scientifique médical aujourd’hui. L'immense majorité des médecins et chercheurs est honnête mais pris dans une doxa fabriquée majoritairement par les industries du médicament et de la data. Richard Smith dans Plos Medicine publie lui aussi un article qui fait date où il explique que les revues médicales sont le prolongement des départements marketing des industries du médicament."

Documents à télécharger :
Charte de communication interne et cadre de réunion du RIC  
Processus de gestion des conflits du RIC
Présentation de l'auto-gouvernance du RIC
Organigramme du RIC

Écriture : entretien réalisé par Marion Cremona, membre de L’Université du Nous, soutenue par Gabrielle Mirbeau.

Crédits photos : Reinfo-Covid

Relecture : Gabrielle Mirbeau.

L’Université du Nous accompagne la Primaire Populaire dans sa profondeur