Gouvernance Partagée : promesse, illusion et réalité

Un article de Laurent van Ditzhuyzen, cofondateur de l'Université du Nous

L’Université du Nous semble aujourd’hui très clairement associée à cette appellation « la gouvernance partagée ». En effet, elle a largement œuvré à faire « descendre sur terre », comme le dit mon ami Bernard Marie Chiquet, ce double mot qui dit tout sans rien en dire !

Il y a 10 ans, quand l’aventure de l’Université du Nous a commencé, le simple terme de gouvernance était tellement connoté que nous devions systématiquement nous en expliquer. En effet, dans les esprits conditionnés par quelques centaines d’années de systèmes pyramidaux, la gouvernance est donc tenue par une personne, au mieux, quelques individus. Ce à quoi, nous précisions qu’une gouvernance est la forme plus ou moins complexe qui structure et régit le fonctionnement organisationnel, social et relationnel des individus d’un système. Autrement dit, ce sont donc les règles qui régissent un groupe ou une organisation.


Gouvernance partagée entre croyance d’une unanimité évidente et d’un épanouissement personnel sans faille 

Le fait de lui associer les termes “gouvernance” et  “partagée” crée dans notre imaginaire une forme d’ambiguïté qui, soyons clairs, a fait une partie de notre succès. Oui, cette ambiguïté est venue redonner de l’espoir à toutes celles et ceux qui ont vu derrière ces deux mots accolés la solution à leurs problèmes. Sortir du pouvoir unilatéral, voire même sortir du pouvoir tout court pour aller vers une forme d’égalitarisme décisionnel où chaque point de vue serait pris en compte et où le joyeux consensus règnerait en roi. Plus de conflit puisque nous serions toujours toutes et tous d’accord !

Plus de leader également souvent perçus comme les détenteurs égotiques du pouvoir. Mais plus de suiveur non plus, puisque le pouvoir partagé redonnerait à chacun·e sa pleine et légitime place dans le collectif. Comme un outil ou une méthode magique, la gouvernance partagée est venue répondre aux fantasmes pluriels des un·es et des autres, au secours des blessures accumulées dans les tréfonds des individus qui se débattent avec le fait d’être ou de se sentir manipulé, dominé, dépendant, ou qui ne trouvent pas leur place, leur puissance, leur émancipation pourtant tellement souhaitée ! 

Et puis il y a celles et ceux que le pouvoir partagé fait frémir, celles et ceux qui y voient la perte de leur pouvoir acquis par un privilège social ou chèrement gagné par une lutte individuelle ou collective. Ce même pouvoir est porteur de façon réelle ou illusoire d’une toute puissance et d’une façon d’exister, de se sentir vivant et légitime… alors quel risque énorme cela serait pour elles-eux de le remettre en question ! Bref… Le combat continue !


Difficile de partager une même vision du monde face à nos histoires intimes si différentes 

Bon nombre ont dû se confronter à une toute autre réalité et traverser une profonde déception. Le mur a été impitoyable ! Car jamais la gouvernance partagée n’a tenu pareille promesse. Aucun système ou modèle à ma connaissance ne permet un tel résultat. Et pour cause ! Nos différences de personnalité, l’endroit où nous en sommes sur notre chemin personnel, la connaissance de nous-mêmes, de nos forces, de nos fragilités, nos egos plus ou moins blessés, bref… Ce qui fait la richesse de l’être humain est bien notre diversité, nos singularités qui sculptent notre façon toute personnelle de voir le monde. Nous ne pouvons donc pas nous mettre d’accord sur tout et particulièrement quand il s’agit de notre vision du monde. Parce qu’elle cache et construit nos croyances, nos valeurs, nos zones de lumière comme nos zones d’ombres, notre vision du monde abrite nos secrets les plus intimes, elle s’est construite sur notre histoire. Elle ne parle qu’à nous.


Les choix de rémunération à l’épreuve  

Prenons l’exemple des rémunérations. En gouvernance partagée, certain·es pensent que nous devons œuvrer en toute égalité, donc obtenir de l’organisation des rémunérations identiques, sans considération des écarts de compétences, de l’ancienneté ou autre aspect qui peut différencier un salaire. D’autres ne souhaitent pas tomber dans cette forme de “lissage”, “d'extrême égalitarisme” comme certain·es peuvent le nommer. Ils et elles souhaitent valoriser leurs études spécifiques, leurs expériences singulières ou leur ancienneté. D’autres encore souhaitent définir des critères où chacun·e est libre de travailler le temps qui est juste pour lui ou elle, qui correspond à son rythme, à son envie, à sa capacité. Ainsi, F. souhaite être payé·e 1500 euros/mois pour 10h de travail/semaine au regard de conditions personnelles difficiles, quand B. aura le même salaire pour 35h/mois, parce que par ailleurs, une rente lui permet de vivre aisément. Enfin, une autre voix/voie pense que nous devons tenir un engagement sans faille à très basse rémunération, presque de façon sacrificielle pour atteindre les objectifs souhaités. Bref… Il n’est pas simple de se mettre d’accord sur un sujet qui vient toucher en profondeur la valeur des choses et de nous-mêmes, notre engagement et notre besoin de réussite, de reconnaissance ou d’épanouissement. A travers notre rapport à l’argent, nous venons tenter de soulager nos blessures, confirmer nos croyances, respecter / revisiter des valeurs qui nous sont intrinsèques et qui répondent à un devoir de fidélité à nos familles ou nos ancêtres ! 


Gouvernance partagée ou distribuée ou agile, différents noms pour un même objectif : changer de paradigme personnel et collectif 

Aujourd’hui, certain·es parlent de gouvernance distribuée, ou agile, toutes sortes d’appellations qui tentent de nous rapprocher de ce que chacun·e souhaite y voir advenir.

Ce bouillonnement est pourtant le signe réel que quelque chose bouge. La conscience se fait plus large et la nécessité de faire face à un système qui touche à sa fin et qui ne trouve pas sa solution pour survivre nous appelle à un changement qui va bien au-delà d’une méthode, d’outils ou de techniques. Nous réaffirmons encore et toujours qu’il est temps que les paradigmes qui fondent aujourd’hui la quintessence de nos sociétés mutent. Mais si nous continuons à croire prétentieusement que notre esprit est suffisamment fort pour inventer une solution miracle qui transformerait ce que nous avons inscrit au fer rouge par une méthodologie bien huilée de ces processus coercitifs, alors nous oublions que le premier pas est d’abord d’accepter qu’une partie du problème et de la solution est en nous. Descendre à l’intérieur de soi pour y rencontrer ce qui me fait haïr ou adorer un modèle plutôt qu’un autre, ce qui me fait peur, ce qui soulève ma colère, ce qui me remplit de tristesse… alors je peux trouver l’opportunité de toucher mes blessures et y découvrir une forme d’humilité sincère qui m’indique que je ne peux rien changer si je ne change pas moi-même, et avec l’appui de l’autre.


Sortir de la volonté orgueilleuse de construire un système de gouvernance parfait 

C’est en cela que l’Université du Nous s’est toujours définie sans modèle, convaincue que la perfection n’existe pas. Pourtant, nous avons bien une gouvernance, des règles, une structure inspirée de modèles et d’outils. Certes, mais là aussi nous ne savons pas nous mettre d’accord sur ce sujet. Certain·es d’entre nous pensent qu’il est nécessaire de faire référence à un modèle particulier, de définir un cadre clair, rassurant pour ne pas avoir à le réinventer sans cesse, un cadre rigoureux qui nous empêche de tricher et de retomber dans les travers de la manipulation. Oui, nous accompagnons sur la base d’une transmission qui utilise les processus et l’esprit de l’HolacracyTM et de la sociocratie. Oui, nous avons construit une vision singulière de la gouvernance partagée sur laquelle nous nous appuyons pour fonctionner et accompagner nos client·es. Mais il s’agit toujours de notre façon de voir le monde exprimant nos points de vue spécifiques et nos aspirations philosophiques et politiques. Pour moi, l’important n’est pas de trouver des compromis entre toutes et tous sur ces sujets de fond. Mais de tenir l’esprit de départ qui accepte le paradoxe du vivant, créatif et imparfait rendant l’organisation fragile, vulnérable et dans l’acceptation de sa finitude possible, à l’image des hommes et des femmes, des humains qui l’ont fait advenir. Continuons à nous confronter à notre petitesse, car c’est quand nous sommes capables de la reconnaître et de l’accepter que notre grandeur peut émerger.


Écriture : Laurent van Ditzhuyzen I Cofondateur de l'Université du Nous
Relecture : Gabrielle Mirbeau et Marion Cremona 
3 dimensions pour un corps présent et souverain