Pass sanitaire : l'aveu d'échec d'un pouvoir centralisé et autoritaire

Un article d'Emmanuelle Faye, Laurent Burget et Romain Vignes, membres de l'Université du Nous. 

Nous nous sommes abstenus jusqu’à présent de tout commentaire et de tout positionnement collectif vis-à-vis de la Covid 19. Aujourd’hui il nous semble nécessaire de prendre la parole, pour partager nos observations et nos inquiétudes quant à la mise en place du pass sanitaire, et nous positionner.


Le pass sanitaire nous paraît dangereux car il crée et oppose deux catégories de citoyen·nes, les vacciné·es et les non-vacciné·es. Il nous paraît contre-productif en terme d’impact sur le nombre de vacciné·es, et notamment des personnes les plus à risques, et plus globalement sur nos capacités à faire face à cette crise. En effet, s’il aura permis d’accélérer le passage à l’acte de celles et ceux qui hésitaient ou procrastinaient, il ancre, chez celles et ceux qui doutent de l’efficacité du vaccin ou de son innocuité, un profond rejet. 


Peu importe que ces craintes soient fondées ou non, le passage en force sur une décision aussi intime ne peut être vécu que comme un acte violent et une volonté de domination, qui attisent en retour la spirale de la violence.

Cette stratégie de passage en force est d’autant plus pernicieuse et dangereuse qu'elle repose sur un chantage et un contrôle citoyen. Plutôt que d’être assumé comme une obligation légale contrôlée par les agents de la fonction publique, le devoir de contrôle est reporté sur les citoyen·nes et s’insinue dans tous les gestes du quotidien. Les situations de frictions, de frustrations, de conflits et de marginalisation sont ainsi multipliées et sans durée limitée, nourrissant la division au plus profond de notre société. 

 








Aujourd’hui, une grande partie de la population n’a plus confiance dans les médias, dans les institutions, dans l’industrie pharmaceutique. Plutôt que de s’interroger et d’agir sur les causes profondes qui nous mènent au contexte actuel, l’urgence est sans cesse évoquée pour justifier des mesures de contrôle social qui ne font que renforcer le problème initial.


Au-delà du pass sanitaire, nous nous inquiétons de voir se renforcer la défiance, le rejet de l’autre et de l'altérité, le développement d’une pensée binaire renforçant les clivages et les rapports de domination. Les manifestant·es contre le pass sanitaire sont dénigré·es et rangé·es dans la case des “antivax” ou des “négationnistes d’extrême droite”, quand les promoteurices du vaccin sont étiqueté·es “corrompu·es” ou “moutons”. Il y a “big pharma” et les “merdias” d’un côté, les complotistes et les charlatans de l’autre…


Nous nous inquiétons de voir s'installer une forme de normalisation de la pensée où les modes de vie alternatifs sont non seulement marginalisés mais désormais interdits. Où les politiques de santé sont réduites à des logiques comptables et court-termistes. Où notre sentiment d'insécurité et notre peur de la mort nous amènent à toujours plus de technologie, de contrôle social et de repli sur soi, plutôt que de revoir en profondeur notre rapport au vivant et à l'incertitude. 


Comment être intelligent·e et agir ensemble si nous ne pouvons plus dialoguer, s’ouvrir à la diversité de nos points de vue et en débattre, construire sereinement une vision partagée du diagnostic, des priorités, de ce qui est connu ou pas, des différentes options qui se présentent ?


Face à une crise systémique, la réponse ne peut être que systémique et collective et passe donc par plus de démocratie et d’intelligence collective. Nous avons besoin de toutes les formes d'intelligence, de rationalité mais aussi d'intuition, d'allopathie comme de naturopathie, d'immunologie comme de philosophie, de sociologie ou de poésie.

Nous tirons de notre expérience du faire-ensemble la profonde conviction que plus les crises sont complexes, plus les réponses doivent être concertées et multiples pour rassembler, autour d’un même objectif, la grande diversité d’expériences, de croyances et de perceptions, de stratégies et de modes d’action, de visions du monde et de besoins. Plus les changements et les renoncements à opérer sont importants, plus le chemin parcouru pour penser et décider ensemble sera déterminant sur l’engagement et la responsabilisation de celles et ceux qui devront les porter. 


Selon l’article 5 de la constitution, le Président de la République doit veiller au respect de la Constitution, et assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Il devrait donc selon nous être le garant du processus démocratique et donner les moyens aux acteurices de terrains de décider et d’agir au plus près des besoins, plutôt que de s'octroyer tous les pouvoirs dans une sorte de fascination de puissance.


La covid n’est qu’une crise parmi d'autres, certes conséquente et d’ampleur, mais qui n’est ni la première, ni la dernière que nous aurons à traverser. Il est devenu urgent de renforcer nos capacités de résilience et d’apprendre à vivre ensemble avec ces crises.


S’opposer au pass sanitaire, ce n’est pas dire “non” au vaccin, mais “non” à poursuivre sur ce chemin d’un pouvoir toujours plus centralisé et autoritaire et d’une société profondément divisée et normalisée.

Il s’agit de revendiquer une remise en question en profondeur du système de santé et plus globalement du fonctionnement de notre démocratie et de ses instances, des médias et des réseaux sociaux, pour espérer (r)établir la confiance et développer notre capacité à prendre soin, à s'écouter et à coopérer dans la durée. 


Écriture : Emmanuelle Faye, Laurent Burget et Romain Vignes, membres de l'Université du Nous.

Relecture : Marion Cremona.

Le temps en gouvernance partagée : contrainte, allié ou conquête ?