Les gouvernances hybrides

Un article de Marion Cremona et Romain Vignes, membres de l'Université du Nous.

Un des écueils rencontrés régulièrement dans la mise en place d'une gouvernance partagée est celui de vouloir transposer l'ensemble des nouvelles pratiques de gouvernance à toutes les parties prenantes de l'organisation, qu'elles soient salariés, intérimaires, bénévoles, usagers, partenaires, impliquées au quotidien ou 1 fois par an lors des AG.


Mais est-ce faisable, ou même souhaitable, pour l'organisation comme pour les personnes concernées ? Comment faire pour articuler au mieux les principes et outils de gouvernance aux différents profils de participation et d'engagement ?


Modeler en finesse sa gouvernance partagée

La gouvernance partagée est un concept relativement nouveau qui nécessite d’exposer ici quelques subtilités dans son application. Il ne s’agit pas d’un modèle à déployer dans son intégralité, mais des possibles à explorer permettant autant de modes de gouvernances qu’il existe d’organisations. Les ingrédients de la gouvernance partagée mis en exergue par l’Université du Nous sont à concevoir comme des clés d’évolution d’un système en place selon ses publics, leurs niveaux d’engagement et de compétences.


En effet, dans une organisation, il y a souvent plusieurs catégories d'acteurs - salarié·es à plein temps, intérimaires de passage, administrateurices ou bénévoles ponctuel·les - avec pour chacun·e des différences en terme de temps, d'attentes, de contributions au projet ou tout simplement d'envie de responsabilités. Si nous cherchons à appliquer l’ensemble des outils et processus disponibles en gouvernance partagée, les temps d’appropriation et l’envie différeront d’un acteur à un autre, rendant plus ou moins possible la transformation organisationnelle. L’invitation est alors de modeler sa gouvernance avec finesse en se questionnant sur « quels outils et à quels endroits », dans la vigilance de ne pas s'enfermer dans un modèle, quel qu'il soit.


De même, à chaque catégorie de personnes engagées correspond un niveau de participation. Le bénévole ponctuel n'aura pas la sensation d'être utile si le peu de temps dont il dispose est consommé dans des processus de décisions compliqués sur des sujets sur lesquels il ne se sent pas compétent. Pour lui, ce sera satisfaisant d’être seulement informé ou consulté. De la même manière, une salariée à temps plein peut s’agacer d’une décision qui traine à se prendre par souci d’intégration de l’ensemble des parties prenantes, alors même que celles-ci ne connaissent peu ou pas les enjeux et le déroulé du processus.

    

Par conséquent, plutôt que de vouloir tout faire de la même façon avec tout le monde, il s'agit de chercher le meilleur alignement possible entre le niveau d'engagement et de compétences de la personne, le niveau de responsabilité qu'elle est en mesure d'assumer sereinement et son niveau de pratique des processus de gouvernance. Il se dessinera alors une gouvernance hybride, unique, avec une mixité de solutions possibles, et ce afin de développer le plus haut potentiel de contribution de chacun·e.


Le chemin d'apprentissage et d'évolution d'un groupe


Comme cela est développée dans la vidéo "La Vie des Nous", un groupe a besoin d'un certain temps et d'un contenant stable pour arriver à sa phase de maturité durant laquelle chaque membre se sent suffisamment reconnu et accepté pour être en mesure d'exercer sa souveraineté, participer à des prises de décision à enjeux, oser poser un avis divergent et connaître suffisamment les autres personnes pour coopérer pleinement. De même, au niveau individuel, il faut un certain temps de pratique pour maîtriser un processus de décision par consentement, et tout autant pour maîtriser un sujet complexe. Il est important de comprendre ici que tout cela est tout à fait normal, voire sain de prendre ce temps. De plus, la philosophie de la gouvernance partagée est de donner le pouvoir à celleux qui font, à celleux qui auront à vivre avec la décision, à l'assumer au quotidien. Pour toutes ces raisons, il n'est pas souhaitable de lancer un processus engageant de décision par consentement avec des personnes peu concernées ou peu disponibles pour suivre l'entièreté du processus de réflexion.


Bien sûr, les bénévoles, usagers, partenaires (pour exemples) peuvent être des ressources essentielles pour prendre une décision. Ils apportent des points de vue différents, des prises de recul, des retours d'expériences d'usagers, ou d’autres informations utiles… que les personnes impliquées au quotidien peuvent plus difficilement avoir. Il serait donc dommage de ne pas prendre en compte ces contributions.

 
 

Prendre en compte les différents niveaux de participation


Comme vu précédemment, 4 modes de contributions à un projet sont possibles, en analysant les besoins et acteurs du système dans lequel la décision prend place. 

Quelques questions utiles à se poser :


- Pourquoi faire participer ce profil d'acteur ? Qu'est-ce qu'on en attend ? Qu'est-ce que lui en attend ?

- Quel est le niveau de disponibilité à court et moyen terme requis par cette participation ? Quel est le niveau de disponibilité de ce profil d'acteur ? 

- Quel est le niveau requis d'information, de compréhension du sujet ? Quel est son niveau d'information ?  Que faudra-t-il mettre en place pour qu'il puisse participer sereinement ?


Une fois ces questions explorées, il s'agira de définir et d'être transparent sur les différents niveaux de participation proposés pour chaque partie prenante.

Exemple théorique :

Pour s'assurer qu'un projet d'aménagement d'un tiers lieux, correspond aux besoins des usagers,  un rôle "Codesign" est créé en gouvernance dans le cercle "Gestion du lieu” pour organiser la collecte des besoins et des feedbacks. Ce rôle est affecté à 3 personnes salariées. Ce rôle commence par récolter auprès des autres rôles du cercle les informations existantes sur ce projet d'aménagement, à quel besoin initial il répond, et les problématiques qui se posent dans cet aménagement. Il  met en forme une synthèse qu'il transmet à l'ensemble des usagers par le biais de la newsletter et d'un affichage dans le hall d'entrée, avec un appel à constituer un groupe de codesigners, engagés sur 3 séances de 2h. Parmi les candidats, il sélectionne 5 personnes de différents profils avec qui ils réalisent ces 3 séances de co-construction d'un prototype, en utilisant différents outils d'intelligence collective. Ce prototype est ensuite présenté aux rôles concernés pour être bonifié. Cette nouvelle version est transmise à tous les usagers par différents moyens (présentation orale, vidéo..) avec un formulaire de feedbacks. Les feedbacks sont collectées, le rôle Codesign élabore alors une proposition et la décision finale est prise en gestion par consentement au sein du cercle Gestion du lieu.


Écueils d’une gouvernance hybride


L'un des risques à ce type d'hybridation est que les niveaux de participation concédés aux personnes qui n'ont pas de rôles officiels peuvent être facilement remis en question et dépendent du bon vouloir des rôles concernés. 

Nous pouvons aussi craindre que les résultats de la concertation ne soient pas pris en compte.


Pour répondre à cet enjeu et sécuriser la participation, il est possible de l'inscrire dans les redevabilités du rôle, ou bien de définir des "politiques". Une politique est une règle du jeu, décidée tout comme les rôles durant les réunions de gouvernance, qui vient restreindre l'autorité d'un rôle ou lui astreindre des contraintes particulières.


Dans notre exemple, on peut imaginer une politique, définie en AG avec tous les membres du tiers lieux, qui s'applique à tous les aménagements du lieux de plus de 2000€ et qui contraint les rôles en charge de ces aménagements, à solliciter à minima l'avis des usagers sur le projet d'aménagement finale, et si possible en amont, à impliquer un groupe d'usagers à sa co-construction.


Il est aussi possible d’imaginer une personne, issue du groupe participant, volontaire ou élue de participer (activement ou non) à la décision finale.


Il n’existe pas de solutions miracles en terme de gouvernance. A l’Université du Nous, nous considérons l’organisation comme un organe vivant, s’adaptant sans cesse au gré des besoins, ajustant ses modes de fonctionnement selon les contextes (humains, sociaux, financiers…) dans et avec lesquels elle évolue.

Il n’y a pas une bonne façon de faire, mais différents chemins à explorer.


Écriture : Marion Cremona et Romain Vignes, membres de l'Université du Nous.

 

Comment l'Université du Nous a réveillé mon pouvoir créateur