Les expériences dites « sensibles » vectrices de transformation

Un article de Laurent van Ditzhuyzen, cofondateur de l'Université du Nous.

Depuis sa création (10 ans) l’Université du Nous a construit au sein de sa pédagogie de transmission des espaces dits « sensoriels ». Il s’agit de proposer des exercices et/ou des expériences passant par le corps, pour permettre par le ressentir de conscientiser ce que serait ou ne serait pas la posture de coopération pour chacun et chacune. Nous utilisons pour cela des pratiques d’intériorité et d’expression corporel.
L'impact de la pédagogie par le corps

Inspirée de la méditation, du théâtre, du chant, des arts scéniques et des arts martiaux, intégrant des dimensions ludiques et/ou profondes, cette pédagogie dites sensibles, permet une compréhension souvent plus fine et ancrée dans l’éprouvé du corps, de concepts, d’idées, de sensations, d’émotions qui se rattachent directement à notre façon d’être, de réagir et d’agir quand nous avons à coopérer avec d’autres. Elle permet également de prendre conscience de nos stratégies de compétition, de fuite, de difficulté à l’engagement, de résistance, quant à notre rapport à l’autorité, au pouvoir, ainsi qu’à nos conditionnements de dominations et/ou de soumissions.


Ces pratiques et cette pédagogie nous apparaissent comme un démultiplicateur, un accélérateur de prise de conscience qui favorise la posture individuelle de coopération.


Ces pratiques et cette pédagogie nous apparaissent comme un démultiplicateur, un accélérateur de prise de conscience qui favorise la posture individuelle de coopération. Par exemple, la simple expérience qui consiste à vivre un profond silence en groupe, conscient de l’intention de co-construire ce silence ensemble, de le vivre autant à l’intérieur de soi qu'à l'extérieur provoque déjà un lien singulier à l’autre et au groupe.


Cette singularité construit une présence, une attention collective qui dissout nos jugements et favorise le vécu de moments subtiles d’humanité. L’exercice du vol d’étourneau, possible que si le lead est tournant et jamais figé - et où la posture de souteneur devient une prouesse indispensable - nous permet de vivre une forme d’organisation vivante, agile, poétique et sensible qui s’auto-organise et se gouverne de façon autonome. Ici, le pouvoir est réellement partagé et la coresponsabilité nécessaire pour servir et atteindre l’objectif collectif de faire "Chœur".




Et plus loin, quand un groupe se lance dans un défi qui consiste à une improvisation corporelle qui n’est ni de la danse (codifiée), ni du théâtre (une histoire préétablie), et qu’il réussit à toucher cette présence particulière à soi et à tout ce qu’y constitue son environnement du moment, l’individu fait concrètement l’expérience d’une saine interdépendance créative. Le groupe tend vers un résultat au-delà de processus mentaux, de prise de pouvoir individuel parce qu’il cultive alors une forme de confiance au-delà du moi, développe l’intuition et s’ouvre à une justesse de ce qui est vivant et utile ici et maintenant.


Une expérience de coopération irréversible

C’est ce que nous pourrions appeler une expérience de coopération irréversible. Parce qu’elle est sensible, émotionnelle et spirituelle, elle peut transformer en profondeur notre rapport au monde. Parce qu’elle s’inscrit dans notre corps, dans notre mémoire, elle devient un acquis qui nous aidera comme une boussole et un indicateur lorsque nous aurons à travailler ensemble, à décider ensemble, à faire ensemble. Pour finir, elle donne sens et puissance à l’action collective.


Certes, restons humbles et prudents. Ce type d’expérience de groupe peut aussi nous illusionner par son caractère émotionnel fort (effet groupal) qui nous fait toucher des sensations d’union, voire de communion. Ici, il n’y a pas d’autres enjeux que d’être ensemble, de créer sans autres contraintes que celle du groupe et de soi-même et de façon totalement éphémère.


Nous ne sommes pas contraints à des décisions stratégiques, à gérer des budgets ou à faire face aux contraintes d’une organisation ancrée dans ces réalités sociales, économiques et de pérennité. Mais si ce type de pratique sensible peut nous faire toucher individuellement au plaisir et à la puissance de la coopération et qu’elle peut nous transformer suffisamment pour que nous emmenions ces graines dans nos groupes, nos collectifs et nos entreprises, alors elles participent bien à une bascule plus large, plus globale, sociétale.


Depuis quelques années, l’Université du Nous est appelée à travailler avec des groupes de tailles de plus en plus importantes. Nous avons eu à accompagner des groupes de 50, puis 80, et aujourd’hui nous expérimentons avec des groupes de plusieurs centaines de personnes. J’ose imaginer que nous pourrions le faire à des milliers !



Écriture : Laurent van Ditzhuyzen I Cofondateur de l'Université du Nous et animateur sensible.
La pratique artistique comme source essentielle de nouveaux savoirs